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THE BAD PASSENGER

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Description

a new (smoky) collaboration with Julien... :iconbwiti:

Story: Bwiti
Shoot: Bwiti
C4D
Photoshop



Chaque dimanche je prends le train à la gare de Tarbes pour m’en aller rendre visite à mon vieil oncle Gabriel. Un trajet d’une heure et demie pour lequel je confesse éprouver bien du plaisir, je dois d’ailleurs avouer que je ne sais plus bien qui de mon oncle ou du voyage je préfère. J’aime rester silencieux à contempler le paysage défiler, les terres et les hommes à peine croisés et déjà oubliés, comme le temps qui va s’écouler dans nos veines, inexorablement.
Je pars le matin à 08h et reviens au soir à 19h, tous les dimanches depuis 12 ans. Une partition sans rature dont chaque mesure a été rejouée maintes et maintes fois, une rengaine rarement troublée si ce n’est par quelques voisins de siège parfois bavards. Mais de tous ces voyages, je crois qu’il en est un dont je peux me remémorer avec précision encore aujourd’hui. Cela remonte pourtant à bien des années, mais la rencontre que je fis ce jour-là me marqua si profondément que je pourrai penser qu’elle se tint hier.
Nous étions en avril, la pluie tombait sauvage depuis deux semaines, confondant le ciel et les champs dans un fracas épouvantable, la terre débordant de toute part. Notre train plongé dans la pénombre d’un jour sans lumière, se mit en branle à l’heure précise et l’homme vint s’asseoir, peu après le départ, sur le siège qui me faisait face, dans un wagon pourtant parfaitement vide en dehors de nous deux. Ne suffisait-il pas que j’eus à subir l’humidité de ces jours d’orage, qu’il allait me falloir supporter la compagnie de ce passager inopportun. Je tenais mon visage dissimulé par une inclinaison de la tête, faussement concentré sur ma lecture, lorsqu’il commença à parler d’une voix basse et grave. Je le regardai mais ne le vis guère car lui aussi avait une posture telle, que ses traits restaient dans l’ombre.
-Savez-vous ce que la pluie me rappelle ?
-Pardon ?
-Avant qu’elle ne meure il avait plu toute une semaine. Entière, imaginez donc. Sans doute que ces orages atroces ont eu leur part dans le cours des choses. A-t-on véritablement étudié l’influence du climat sur nos vies, probablement pas assez. Le jour où elle est morte en revanche, il faisait un temps radieux, un soleil resplendissant, le croyez-vous ?
-Excusez-moi, mais de qui me parlez-vous ?
-De ma mère.
-De votre mère ? Je ne suis pas sûr d’être la personne la plus appropriée pour parler aujourd’hui, ici, de votre mère. Voyons, nous ne nous connaissons pas et je n’aime pas, pour tout dire, les rencontres de hasard à bord des trains.
-Pourtant il n’est pas d’autres lieux où nous pourrions tenir cette conversation, voyez-vous je passe mes jours et mes nuits dans les trains. D’une gare à l’autre, entendez-vous, sans ne jamais faire escale. Je ne connais des villes que je visite seulement les gares. Mais n’allez pas imaginer que je voyage à l’œil, non. Regardez, vous voyez…
Il tenait un billet composté pour le trajet pour lequel nous étions embarqués.
-A Toulouse je choisirai ma prochaine destination, de préférence un train à bord duquel je pourrai prendre un repas. Vous devez me trouver étrange mais je n’ai pas toujours été ce pigeon voyageur.
L’homme s’inclina en avant et me fit un sourire, n’entrouvrant qu’à peine la bouche. Il possédait au fond de ses yeux une flamme étrange qui me mit mal à l’aise, comme on peut l’être parfois avec l’enfant qui vous scrute. Il était d’une grande beauté, peut-être devions-nous avoir le même âge, quoique son visage fut davantage marqué que le mien.
-Je suis désolé de vous importuner de la sorte, mais je ressens parfois la nécessité de m’épancher un peu, raconter mon histoire. Et nous sommes seuls dans ce wagon. Et puis cette pluie qui tombe… Il y a des moments où vivre seul sans cesse dans le silence devient impossible. J’aurai peut-être besoin de pleurer, mais c’est un peu comme si j’étais devenu une terre aride, dépourvue de vie.
Il cessa de parler quelques secondes et je remarquai alors la pâleur de son visage ainsi que la grande tristesse que ses sourires ne parvenaient à dissimuler. Il fouilla dans son sac et déposa sur l’un de mes genoux une photo, nos doigts se frôlèrent, sa peau était glacée.
-C’est une photo de ma mère prise à l’époque où je suis né. Une mère-enfant comme on dit. Avez-vous déjà vu femme plus belle ?
Non c’était exact. Je n’avais jamais eu l’occasion de croiser une beauté si parfaite que cette femme dont il me montrait le visage et qu’il prétendait être sa mère. Je restai subjugué par le regard mélancolique et si doux de celle qui n’avait souri qu’à peine au photographe. A cet instant précis, je crois que j’eus donné le peu que je possédai pour parcourir le temps qui nous séparait. Je n’avais jamais cru au coup de foudre comme on dit, et pourtant je sentis mon cœur s’accélérer et battre un peu plus fort. Il remarqua mon trouble et continua.
-Vous comprenez maintenant, n’est-ce pas ? Je l’aimais comme elle m’aimait, d’une tendresse folle qui nous a consumé tous les deux. L’amour filial échappe parfois à l’entendement et il n’est d’explication chimique à cela. J’ignore qui est mon père et d’ailleurs cette question ne m’a jamais véritablement intéressée. Ce fut comme si celui-là n’avait jamais existé comprenez-vous ? Comme si notre vie avait débuté avec ma naissance, je n’ai d’ailleurs aucune image de ma mère antérieure à celle-ci. Elle s’est occupée seule de moi et j’eus très tôt la sensation que je devais la protéger. Je me souviens lorsque nous allions nous balader au marché, je surveillais la foule qui se pressait à la sortie de la messe, afin d’y déceler le moindre indice que j’aurai pu trouver louche. Ainsi je m’arrangeai pour éloigner ma mère des hommes que je voyais de loin la lorgner. Mais de toutes les manières, je ne crois pas qu’elle eut été attirée par ceux-là. Nous nous satisfaisions de notre innocence commune et le couple que nous formions était à nos yeux des plus parfaits. Rien n’aurait pu le troubler. Rien…
Il resta silencieux. Je n’entendais que mon souffle et mon cœur.
-Rien sauf la maladie.
-Qu’avez-vous dit ?
-Elle est tombée malade, terriblement malade. Difficile d’imaginer que ce visage a été digéré par le cancer et les vers n’est-ce pas ?
Sa remarque me frappa si violemment que je ne pus me retenir de le fixer avec colère. J’eus la sensation que l’on me plongeait à travers le ventre une lame brulante.
-Vous dites qu’elle était votre mère et qu’elle est morte… ?
-Oui voilà dix mois. Elle a lutté de toutes ses forces et elles étaient grandes, jour après jour. Les médecins lui avaient diagnostiqué un carcinome ovarien et elle s’opposa à toutes formes de traitement car elle eut très tôt la sensation très nette d’une inéluctabilité de son sort. Elle se savait perdue. Alors nous avons disparus ensemble au fond de l’obscurité. Sa dernière marche fut terrible et je la vis au fil des semaines se transformer, écrasée par la souffrance. Vous n’imaginez pas comme j’ai prié et maudit le ciel. De la voir si maigre, elle ne mangeait plus rien, de la porter si légère jusqu’à son lit. Et puis son abdomen commença à gonfler, la peau tendue prit une teinte grise, gris aussi les cernes de plus en plus profonds qui chaque jour lui creusaient son beau visage. La mort qui vous consume lentement est une chose des plus atroces, croyez-moi. Son agonie dura des semaines et puis il y eut ce matin où, me réveillant à ses côtés, je la vis me sourire. Savez-vous ce qu’elle me demanda ? Je n’oublierai jamais sa voix fragile qui n’était plus alors qu’un souffle fétide. Elle me demanda de lui caresser la joue et de lui promettre de mettre fin à ses souffrances. Me comprenez-vous ? Elle était alors en plein délire. A bout de force elle me parla des ombres qui nous avaient habitées durant toutes ces années. Elle me demanda de me laisser aller à ces ombres pour venir la transpercer.
Je me rendis compte alors que l’homme parlait en pleurant, son visage dans la pénombre brillait comme les vitres du train, dégoulinantes et noires.
-Il plut toute la semaine et toute la semaine je m’enfonçais avec elle dans son enfer. Je crois que moi aussi je fus alors habité par la folie qui s’était emparée de ma mère, vous ne me croirez peut-être pas mais je n’en ai plus trace. Entendez-vous ? Je sais qu’il a plu 7 jours et voilà tout. Au 8ème jour, ma mère était défaite. Elle gisait là, bouche ouverte et regard vide, une peau sèche, froide, des bras raides comme le bois, le soleil était au zénith. Les ombres avaient disparu. Encore aujourd’hui je recherche dans ma mémoire le récit de cette chute mais ne le trouve pas. Je ne sais plus qu’elle fut la part du carcinome, des ombres et de mes mains dans son épouvantable fin. Pour tout vous dire, si je dois être honnête, j’ai l’intuition terrible de l’avoir étouffée. Je crois la voir respirer comme un poisson hors de l’eau, vous savez, cet instant qui précède la mort, les dernières petites bouffées d’air frais que le corps essaye de capter. Je crois qu’on appelle ça le gasp – C’est ce gasp-là qu’il me fallut faire cesser, mais peut-être ai-je rêvé tout ceci.
Bon, en tout cas je vous remercie de m’avoir écouté et je vous souhaite une bonne fin de voyage.
-Attendez ! Pourquoi continuez-vous à… pourquoi êtes-vous dans ce train ?
-Ah ça, je ne me l’explique pas. Ma mère avait réussi à mettre de côté un bon pécule et dès qu’elle fut enterrée je suis monté dans un train pour ne plus en ressortir. Peut-être pensé-je qu’à voyager de la sorte je parviendrai à retrouver cette mémoire qui me fait tant défaut. Sur-ce…
L’homme récupéra son sac et me laissa seul dans « un turbulent silence ».
Je ne parvins pas par la suite à retrouver mon calme. Mon esprit, troublé par l’histoire que je venais d’entendre et le visage de cette femme, aurait souhaité en conserver le souvenir, mais je pressentais que le temps très rapidement l’effacerait.
Lorsque le train fit son entrée en gare de Toulouse, j’eus l’impression étrange de quitter un endroit familier. Ce wagon était marqué par la passion d’un fils pour sa mère, ce n’était plus l’habitacle anonyme et reproduit par centaines à l’identique, mais un espace vivant qui bruissait d’une multitude de voix. En me levant je fus parcouru d’un frisson à la vue de la photo qui était posée au sol. Je cherchai l’homme dans la foule dispersée de la gare, haletant et espérant que je pus la lui rendre, mais sans doute était-il trop tard.
Je possède encore cette photo, au dos de laquelle sont inscrits ces mots :
« Que perfeito coração
Do meu peito morreria,
Meu amor na tua mão,
Nessa mão onde perfeito
Bateu o meu coração. »

もじゃもじゃ
Moja Moja©, or the origins of Little Monsters ...

Moja Moja is a Japanese onomatopoeia: a ball of hair that makes you want to fiddle with your fingers ...

thanks to see the series : Little Monsters©
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Date Taken
Jan 1, 2008, 3:14:39 PM
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Snowys-stock's avatar
Love this one, the way that appears we are looking through so many windows! :D